Sacré Jo ! Sans lui le grand public n’aurait jamais entendu parler de Marie Laurencin. Quelle idée avaient Delanoë et Lemesle quand ils l’ont mêlée aux couleurs de l’Été indien ? Quand on pense qu’ils s’y sont mis à deux pour cette pâte à tartiner collante et farineuse… Peu d’aquarelles, à ma connaissance, dans la production de l’égérie d’Apollinaire, mais des huiles superbes remplies de personnages féminins aux grands yeux noirs, d’une fluidité incomparable. Le mystère nimbe, avec une palette d’une fraicheur remarquable, toutes ses toiles. Ses contes sont sourdement cruels. Les niais la trouvent mièvre. On leur rétorquera qu’Henri-Pierre Roché fut son premier amant et que Max Jacob la révérait (comme si ça pouvait leur en boucher un coin. A quoi bon, à quoi bon…) Si Georges Braque, Pablo Picasso, André Derain et Henri Matisse n’avaient occupé tout le terrain, leur contemporaine aurait ici la place qu’elle a au Japon. Celle d’une artiste majeure et incontournable dont la biographie est autrement plus insolente que la leur.
Mise en pageDessin original, à peu près 21 x 30 cm, novembre 2025
Albert Marquet, un myope, toujours sur les balcons, à peindre depuis sa chambre d'hôtel, des ports, des rues. Ne craignait ni les gris colorés, ni les couleurs soutenues. On peut voir au Musée André Malraux, du Havre, le très beau portrait qu'il a réalisé de son ami Matisse en haut-de-forme. Ces quelques lignes enlevées, à l'encre de Chine, sont réjouissantes.
L’homme qui louchait sur les tableaux des petits copains. Ils planquaient leurs œuvres quand il se rendait dans leurs ateliers de peur qu’il s’en inspire et qu’il en conçoive de meilleures. On lui doit cette phrase : « Les bons artistes copient, les grands artistes volent ! ». Son grand rival fut Matisse, qu’il ne parvint jamais à égaler. La puissance n’est pas la grâce.
Mise en formDessin original, à peu près 21 x 30 cm, octobre 2025
Sacré Jean. Au Havre, où tu naquis, on ne te voit plus. Je ne sais dans quelle réserve on a relégué la grande sculpture, très moyenne au demeurant, qu'on a longtemps croisée au musée Malraux (c'était avant que la grenouille ne se veuille aussi grosse que le bœuf et que le musée ne prenne le nom de MuMa). Personne n'a eu l'idée de donner ton nom à une école (ceci dit, tu as assez répété que tu n'aimais pas les enfants). Il n'existe qu'une petite rue qui porte ton nom, perdue dans le sud de la ville, où personne ne va jamais se promener. Je n'en avais même pas connaissance avant ma recherche Google. C'est peut-être mieux comme ça. En attendant, c'est dimanche, la tempête s'est éteinte, je range mes catalogues, je fais ton portrait.
Mise en pageDessin original, à peu près 21 x 30 cm, octobre 2025
On faisait tourner l’obstbrand depuis un moment quand on a vu Scipion, le chien de l’hôpital de Séville, rajuster ses lunettes. On s’est tus aussitôt. L’autorité naturelle du mec… Il s’est levé. De sa belle voix de baryton martin, que trop de robustos cubains avait abrasée, il a déclaré :
— Les gars, je vais vous dire, telle qu’elle nous est imposée, notre vie, elle est trop lourde…
Il avait vraiment le chic pour casser les ambiances. On allait encore se farcir ses phrases définitives. Ça n’a pas manqué. Il a continué.
— En vrai, elle nous inflige trop de peines, de déceptions, de tâches insolubles, la vie. Pour la supporter, nous ne pouvons nous passer de sédatifs. A force de gamberge j’en suis arrivé, moi, le grand neuro-penseur, à la conclusion que les sédatifs en question sont peut-être de trois espèces. Vous m’écoutez ? En prem’s il y a les fortes diversions, qui nous permettent de considérer notre misère comme peu de chose. En deuze il y a des satisfactions substitutives qui l’amoindrissent. Et pour terminer il y a les stupéfiants qui nous rendent insensibles à l’insoutenable pesanteur de l’être. (C’est bien ça, non ? « L’insoutenable pesanteur de l’être », ça pourrait faire un titre de bouquin). J’ai nommé la coco, le jaja, les tickets à gratter, les réseaux sociaux… Voyez le genre… Il n’y a pas à tournicoter : l’un ou l’autre de ces moyens nous est indispensable. Avez-vous des questions ? Bien sûr que non. On n’allait pas le relancer. Il savait se relancer tout seul.
Il a repris comme pour lui-même :
— Les satisfactions substitutives, celles par exemple que nous offre l’art, ce sont sans doute des illusions au regard de la réalité mais elles n’en sont pas moins efficaces psychiquement, grâce au rôle assumé par l’imagination dans la vie de l’âme. Les stupéfiants, eux, influent sur notre organisme, en modifient le chimisme. Alors ? vous en dites quoi ? Je crois que tiens quelque chose… On n’a toujours rien dit. Il s’est rassis, a continué de marmonner. C’était mieux de le laisser dans ses délires.
Tes lèvres, Louise, Sont des portes d'église Où j'entre le matin, Le chapeau à la main. Tes lèvres, Louise, Penses-tu ce qu'elles me disent, Ou c'est du caraco, Le rubis d'un mégot?
Après tout, peu importe Où j'allume ma clope, Aux premiers feux du jour Ou aux foudres de l'amour, Si les miennes se grisent À tes lèvres, Louise
Sur tes lèvres, Louise, Les miennes sont assises. Je ne décolle plus les fesses De ce banc de messe. Tes lèvres, Louise, Crois-tu ce qu'elles me disent, Ou cette basilique Est un kiosque à musique?
Après tout peu importe Où j'allume ma clope, Si ce n'est pas l'amour, Ce sont les alentours Si les miennes se grisent À tes lèvres, Louise.
Ta lettre, Louise, Est arrivée tantôt. De tes lèvres cerise, Elles portent le sceau. Tes lèvres, Louise, Me donnent congé. Ma rage s'épuise Sur mes ongles rongés.
Paris te contient Et je suis jaloux comme un chien. Je reviens gratter à ta porte. Tes lèvres sont closes. Louise, tu m'envoies sur les roses, Dis-moi quelque chose... Rien.
Louise je ne veux plus Que tu passes la nuit En bas de l'avenue, Sous un parapluie.