

Dans les années 70 mon père achetait chaque semaine un fascicule Alpha « Histoire de l’Art ». Tous les quinze ou vingt numéros, il les reliait en passant dans les agrafes deux lames d’acier qu’il glissait ensuite dans des couvertures cartonnées noires et or. Ces grands livres m’en imposaient.
J’étais enfant, je passais des heures, allongé sur mon cosy-corner, à regarder toutes ces reproductions de tableaux. Je ne ratais pas un numéro. Je ne lisais rien mais j’examinais toutes les images. Je mûrissais mon goût pour les fortes femmes en contemplant des Rubens et des Renoir. Ça me distrayait des Fripounet auxquels m’avait abonné une vieille cousine.
Un jour j’ai vu Le porteur d’eau de Séville, de Velázquez. Cette toile m’a beaucoup troublé. J’ai immédiatement reconnu un acteur très en vogue à cette époque : Lino Ventura. Je ne m’expliquais pas qu’il puisse être à la fois dans un tableau ancien et dans les pages de Télé Magazine. Il avait beau me paraitre vieux, je sentais bien que quelque chose clochait.
Les années ont passé. Ma confusion d’enfant s’est évanouie. J’ai enfoui l’anecdote dans les replis de ma capricieuse cervelle.
Jusqu’à ce que l’envie de peindre cette vieille barbouze me prenne.Aux premiers coups de pinceaux le souvenir a ressurgi. Je me suis revu dans ma mansarde, à plat ventre sur mon couvre-lit chenille jaune, confondu par la ressemblance entre le parmense et le sévillan. J’ai souri.
Depuis j’ai vu presque tous les films de l’un et presque toutes les toiles de l’autre. Pourtant, jamais encore je n’avais raccroché les wagons de ce train de souvenirs..