Une fleur de malheur, bleue et drôle…

il y a 10 ans

peinture huile le havre soluto

Ah ! monsieur, si vous saviez comme c’est lourd de penser. De la façon dont je vous vois vivre, vous ne devez pas souffrir de ce tourment, mais moi, monsieur, je vous le répète, je ne cesse jamais de faire fonctionner ma matière grise, même quand je vais au sanitaire. Vous ne pouvez pas imaginer. C’est un monde !

Les fleurs bleues    Raymond Queneau

Dessins billes en tête…

il y a 10 ans
dessins stylo croquis solutoBoucle de dessins mythomanes, couleurs numériques
(plus grande si l’on clique sur l’image)

Creuse ton sillon ma bille dans ce papier pauvre
Roule et bosse ton rond, boule et rosse ta fibre
Dans ta tige ton gel patient poisse
Réservoir de créatures, de panoramas
Tes fils décollent, s’écoulent, défilent, s’étendent
J’y pince à sécher des récits militaires
Des aveuglements, des femmes mordues
Dépression dépeinte, des pressions, des pintes
Des éclats de pleurs, des bouquets de noisettes

Gifs hâtifs, j’y-va-t-y pas
Sténo bloc, stylo Bic et sous bock

(Au refrain)

Sa vie de débouleuse…

il y a 10 ans
portrait soluto croquis crayonHuile sur toile. 30 x 40 cm. 2015

Et pendant qu’elle posait pour les photos, les croquis rapides, elle causait, me racontait sa vie de débouleuse.
Elle connaissait tous les bars du Havre, les changements de patrons, les profils de clientèles selon les heures de la nuit, les coins à footeux, les karaokés, les rades d’étudiants. Maintenant elle en avait sa claque des virées, des soirées caniveaux, des retours beurrées, « en taxis les bons jours, pédibus le plus souvent », des lendemains cramés jusqu’à midi. Elle était lasse des patins chargés et des tripotages, des pipes au latex dans les voitures garées en vrac sur les parkings sauvages près des boites de la rue des Magasins Généraux. « Les capotes c’est pas seulement pour les maladies, c’est aussi pour les odeurs… ». Même les grimpettes express à l’hôtel F1 de Gonfreville l’Orcher avaient perdu leur parfum d’aventure. Elles présentaient l’avantage, une fois le coup tiré, de pouvoir garder la chambre. C’était le bénéfice secondaire, la garantie de ronfler sur place, seule. « Parce que les mecs, une fois dégorgé, on les retient pas longtemps… »
Une nuit, dans le fameux hôtel, après l’avoir prise, un gars l’avait cogné sans raison. Juste un coup de poing, à froid. Il lui avait fendu l’arcade. Courte cicatrice en zigzag, le fond du sillon mauve. « Tiens, regarde-moi le boulot de l’interne de garde qui m’a salopée aux urgences ! » Elle avait eu la moitié de la tronche noire et jaune pendant quinze jours. La plainte n’avait rien donnée, pourtant le mec avait payé la piaule avec sa carte bleue, les flics auraient pu le retrouver facilement. Elle avait laissé tomber. « Un coup de poisse, on peut pas tirer des généralités ». Elle multipliait les efforts, essayait tous ceux qui ne la répugnaient pas dans l’espoir de lever le bon. « Un mec qui bosse, pas un feignant… » Elle avait tâté des sites de rencontres mais elle préférait le bruit, la musique, les ambiances moites. « Rien ne vaut le terrain, on est plus vite fixée… »
Elle voulait, comme les autres femmes, un homme à elle. Pour l’aimer, l’admirer, le montrer. Pour le taquiner aussi, le fâcher, le réformer et l’obliger à céder à ses petites envies. Dans son monde idéal elle rêvait de le nourrir, de le gâter, de lui offrir des cravates, d’acheter ses caleçons, de surveiller sa ligne et de vouloir son bien.
Sa vraie vie, sans une moitié à torturer amoureusement, tardait à décoller.
Et puis, surtout, à vingt-trois ans, elle prétendait qu’il était grand temps d’avoir un enfant.