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Portraits avancés…
Ailleurs je perds mon temps…
Huile sur toile 24 cm x 30 cm
Quand je comprends qu’il est bien tard, que les années qu’il me reste n’en finiront plus de se jeter sur moi pour mieux m’éviter, que je sens les regrets sédimenter au fond de mon cœur, je ne suis bien que là, arrimé à ma chaise, sur mon tapis de bambou, à distance de mon chevalet d’un demi bras.
Cinq litres de white spirit en bidon sous la main gauche, mes couleurs dans leurs bacs sous la droite, l’essence et l’huile dans leurs godets, les pinceaux en bouquet dans leurs pots, le front sous la lampe et ma palette chargée sur mes genoux j’attends.
Je me débarrasse du monde comme il se débarrasse de moi.
C’est un processus, pas même une fiction.
L’impensé, à coups de lignes et de masses, s’ordonne, trouve sa cohérence, se dévoile. C’est un mouvement inquiet qui cherche son apaisement par un saisissement. Je ne veux rien sinon glisser hors de moi, guidé confusément par la vibration des couleurs, par l’ivresse d’un geste délié, d’un trait retenu. Je suis dans la pâte que j’écrase sur la trame de la toile, dans la soie du pinceau, dans la main qui porte mon désir, dans l’image qui émerge.
Je me plais là, infiniment paisible, en retrait des pensées, à camper à l’abri des mots, baigné dans la sensation intense d’être au bon endroit, au bon moment.
Ailleurs je perds mon temps.
Ado je n’aimais pas Choron…
21 cm cm x 29,7 cm. Octobre 2022.
Ado je n’aimais pas Choron.
Je ne voyais pas ce qu’on lui trouvait.
Hâbleur, brutal, l’invective floue et confuse, toujours bourré quand on l’apercevait à la télé et trop centré sur sa bite qu’il dégainait, disait-il, au bout de la troisième coupe… Vraiment, quel drôle de zig.
L’engagé volontaire en Indochine, tondu, aux polos mous et au fume-Pall-Mall avait une silhouette mais je ne lui reconnaissais pas de talents. Ses fiches bricolages ne m’amusaient pas vraiment, ses rares billets non plus. Je voulais bien croire qu’il fût un animateur de bouclage enthousiasmant, un meneur d’hommes (un adjudant, quoi) déterminé, un remonte-pente galvanisant mais je m’en fichais bien. De là où j’en étais, avec mes convictions antimilitaristes, ma vue basse et les préjugés sourdement staliniens instillés par quelques professeurs confortablement blottis dans les plis d’un mammouth laineux pas encore dégraissé il m’avait tout l’air de l’oncle alcoolique et pugnace qui a le vin mauvais. A contourner. Je sautais la page.
Il n’aimait pas les adolescents et le leur faisait savoir. Son peu d’efforts pour être aimable, une vertu à mes yeux maintenant, me consternait à l’époque. Nous avions tout pour nous déplaire.
Des décennies ont passé, je n’ai plus besoin qu’on me séduise et j’entends mieux, dans la cacophonie des provocations, ce qui relève du noyau dur d’un individu.
Dans une interview on l’entend se défendre vivement de la prétendue tendresse dont veut le barbouiller l’animateur :
« Je refuse tous ces termes de tendresse et d’amitié, et d’amour, et toutes ces conneries-là qu’on veut vous accrocher comme des casseroles ! » Avant que l’autre ne reprenne son souffle il ajoute, laconique : « Je suis un vivant : j’aime ce qui est bon, boire, baiser et c’est pas mal déjà ». Sourire malicieux.
L’entretien roule.
A propos des hommes politiques il dit : « Tous les humains sont des salauds, et y en a jamais un qui dit qu’avec tous ces défauts-là, l’ambition, l’avarice, la jalousie, il faut faire une société »
L’interrogatoire se précise. On veut savoir de quel côté penche le malotru. Réponse : « La gauche est chrétienne, elle a deux mille années de crasse dans la tête. C’est la solidarité, le bonheur, des conneries comme ça qu’existent pas… » quant à « La droite c’est la morale, c’est Hara-Kiri et Choron qu’on brûle sur un tas de fagots comme Jeanne D’arc » Il conclut en ricanant : « Ta vie tu te démerdes et tu te la mènes dans n’importe quel régime, et pis c’est tout… »
Ces quelques phrases attrapées au vol, si bien incarnées, ne révèlent sûrement pas un penseur profond mais elles m’ont immédiatement réconcilié avec ce filou à qui je n’aurais pas confié ma nièce pour la soirée.
Savoir que le pire est probable, que ce n’est pas grave pour autant, que rien n’est sérieux et qu’on peut mourir par paresse sont des assertions roboratives qu’on s’emploie à refouler tant la vie, souvent, est ennuyeuse.
Rien de neuf sous le soleil, donc, mais Choron et ses beaux journaux avaient trouvé une façon inédite de le dire.
Ambiance d’autoroute…
Une rousse et un poème noir…
Huile sur toile, 30 x 40 cm, mai 2018
Surir en se décatissant
C’est moi qui vais surir en me décatissant
Je deviendrai bien aigre, et bien misanthrope
Pour me rembourser du temps que j’ai usé à fréquenter mes contemporains
Me claquemurer, tiens, ne plus l’ouvrir
Ne m’adresser qu’aux anges et aux quelques-uns, proches ou lointains, morts ou vivants, qui m’ont rendu fragile et vibrant.
J’en vagis d’avance.
Oui, bien seul, bien amer, dans ma boue de couleurs et de mots tordus
Je caresse le rêve de Léautaud, grincheux qui me débecte pourtant
Ne garder que des livres, des idées de tableaux, des mélodies tristes et sourdes, remuantes, des femmes câlines et salaces quand il faut
Ce que je me farcis, ce que je me condamne, ce que je me travaille pour supporter les platitudes quotidiennes, le tout-venant, le pipi de chat
Crever à coups de poing les sacs de plaintes, les rires de contenance
Vieillir sec, noueux, manger des fruits frais, déchirer des viandes bleues, regarder de mon balcon passer les cons, rester droit de la tête et du manche
Ce désir cocasse de remettre la chaine en maillons
Mai 2018
A contresens, chanson politique…
Huile sur toile, 40 cm x 40 cm, 2015
Héros par erreur
Conflits d’atterrés
Chemin pour chômeurs
Défi défilé
Là-bas la rumeur
Délit d’asphyxiés
Chante à contrecœur
La peur contrariée
Fini les copains
Fini la concorde
Papier Salopin
La rue les absorbe
Grimaces et menaces
Vies qu’on cadenasse
Terminé monnaie
Crédits écrêtés
Indélicat boss
Patron pas très net
Mielleux jusqu’à l’os
Sourire à fossettes
Attention tensions
Piégées les promesses
Cachée l’intention
Truquée la caresse
Soignée la vitrine
Passée vaseline
Bagout blagounettes
A la moulinette
Lancées tentacules
Puissance et calculs
Ici on s’enlise
La faute à la crise
Joie des actionnaires
Ça délocalise
Sans en avoir l’air
Pointer l’incapable
Pendre les coupables
Médias syndicats
Mafieux caïdat
Stimuler la peur
Echauffer la masse
Exciter la casse
Bouillent les rancœurs
Pilleurs torpilleurs
Des voix pour la haine
Prime à la gangrène
Les indemnisés
Tous idem niqués
Quoique l’on raconte
Sont laissés-pour-compte
La gueule à l’envers
Et les bras ballants
Perdent leur sale air
Et leur bel élan
Reprendre à l’enfance
Le droit à l’errance
Renier les cadences
Entrer dans la danse
De la décroissance
De la décadence
Désobéissance
Vivre à contresens
Soluto Le 28 novembre 2013
Oh non pas ce soir…
Huile sur toile – 2015 – 46 cm x 33 cm
A fleur de toile, retranchée dans la trame, surprise, les doigts aux lèvres
Les cheveux roux brulés, l’orange aux joues, le regard violet
Appuyée sur les coudes, presque nue, le couvre-lit chenille sur les cuisses
Elle a froid, toute sa peau fraîchit.
Elle aime l’odeur de la térébenthine, grignote mes cerneaux de noix
Mastique avec application mes abricots secs et raconte l’art de barboter
A la barbe des vigiles fards, poudre et rouges à lèvres.
Elle et moi partageons le goût de la couleur.
Elle se propose d’aller pour moi voler des pinceaux.
Mais pas ce soir : à 18h30 elle a un baby-sitting.
Michel Houellebecq, l’oscillation de la souffrance à l’ennui…
Huile sur panneau, 40 cm x 40 cm, 2014
J’ai voulu peindre Michel Houellebecq dans une gamme de gris colorés, ni trop chauds, ni trop froids, oscillant du violet minéral au vert sourd. J’ai chassé le blanc de titane de ma palette et abaissé par le jaune de Naples toutes les lumières franches afin qu’elles ne soient pas trop crues.
Le gris est la couleur de la désillusion, de la nuance. Ses inflexions, tantôt roses, tantôt mauves, tantôt bleus, chantent les regrets, la nostalgie, l’ennui, l’ironie parfois. Sans lui l’éclat n’existe pas, il n’est que bruit, fracas, éblouissement et il manque d’assise.
Je désirais rester dans la gamme des sentiments mélancoliques que les poèmes et les romans de ce grand auteur contemporain m’inspirent.