Portrait d’écrivain, Paul Verlaine, Lélian, vilain bonhomme…

il y a 4 ans
Paul Verlaine, graphite, dessin, fusain, board, grey, body, soluto peinture
Acrylique sur papier, 21 cm x 29,7 cm, juillet 2021

En ces temps-là de vilains rabatteurs collaient négligemment sous nos yeux embués des polycopiés. Nous ne nous doutions pas des coups qu’ils nous portaient. On contemplait ces bouts de phrases cadenassés, tous en pieds bien comptés, dans leurs formes désuètes, cette fois un sonnet, comme s’il s’était agi d’une corvée de patates. Il fallait en extraire le jus, le sens et les intentions souterraines que l’auteur noyait sous le poli de ses vers.
C’est par la voix du Rêve familier que Verlaine m’advint et me ravit.
Ce poème me pénétra, sa musique grise et lente me comprima le cœur et j’éprouvai pour de vrai le sentiment mélancolique, la force de son frein et l’immonde plaisir qui le baigne. Je l’appris par cœur et me le récitai souvent.
Plus tard je me passionnai pour le recueil Parallèlement.
J’aimais qu’il se qualifiât lui-même de maudit et qu’il se donnât les moyens, par la boisson, les dérèglements et les illusions mal nourries, de se déprendre du sublime et du style sans y parvenir. Une vie gratinée aux flammes de l’enfer : la cousine orpheline, si bel amour déçu qu’un autre lui souffle, se marie et meurt, son père trépasse tôt et son insupportable mère lui passe tout. Un marlou ardennais aux grosses mains rouges (la fatalité a souvent de grosses mains rouges) vient lui mordre le cou. Mais qui sait qui saigne l’autre ? C’est l’odeur crue de la luxure, la bite aux aguets, la débauche obstinée et son fils Georges, à l’occasion, jeté contre les murs. Errance, fêtes navrantes, coup de pétoire à Bruxelles, cellule, rabibochage, adieux. Des saisons et des saisons en enfer, des bocks vidés, l’absinthe, des vins noirs, des crises de déraison, des vers qui boitent et qui palissent enfin, la pitié, le dégoût, l’hôpital, le cimetière des Batignolles.
En post-scriptum on voudrait mettre le portrait d’Eugène Carrière, ce cri de Paul Fort « N’importe ! Lélian, je vous suivrai toujours ! », la chanson d’automne de Trenet et quelques larmes de Birkin qui n’y pourront rien changer. Des mots, des pappus pris au vent qui n’en finiront jamais d’essaimer…
Pourvu que Verlaine, longtemps encore, au vent mauvais, continue de draguer dans les salles de classe.

Portrait d’écrivain, François Cavanna…

il y a 4 ans
Jackie Berroyer, graphite, dessin, fusain, board, grey, body, soluto peintureEncre de chine 21 cm x 21 cm, 2014

Portrait d’écrivain

François Cavanna.
Je le lisais avec une attention soutenue chaque semaine dans Charlie. Bon sang de bonsoir, à chaque fois que j’avais fini son article je me sentais moins bête. On a bien le droit, à seize ans, d’être immodeste. Il venait combattre mon petit monde de préjugés. Il dégommait sec, avec grâce, dans un langage que je recevais cinq sur cinq quoiqu’il ne me fût pas naturel. C’est peu de dire qu’il a dévié le cours de ma vie.
Je voyais à l’œuvre, sous sa plume, le plaisir de penser. Avec ses sujets improbables, décalés par rapport à la plus chaude actualité, son goût de l’argument, son verbe alerte, coloré, son sens de l’humour et du dérisoire, il me poussait à réfléchir.
Du moins le croyais-je à l’époque. Nos pensées nous appartiennent-elles vraiment ? J’en suis revenu aussi de cette croyance. Ce qui est sûr c’est que ce temps de lecture était une joie vive, avec un goût de revanche sur la fadeur de mon quotidien d’adolescent.
Je m’étais promis, quand il mourrait, d’aller à son enterrement. Pas de chance, ce jour-là j’avais mieux à faire. Que voulez-vous, je manque d’empressement, parfois, à respecter mes promesses.
D’ailleurs honorer ce mort eut été honorer la Mort. On a beau s’employer à l’enfermer dans une métaphore, ce néant-là, parce qu’il est toujours devant nous, fiche les foies. Cavanna la détestait. Il nourrissait des rêves de jeunesse éternelle. Son livre « Stop-Crève » l’atteste. Qu’aurait-il pensé des délires transhumanistes ?
J’ai eu raison d’économiser mon billet de train, d’avoir boudé le cortège funèbre. À l’idée je ne m’y sentais plus à ma place. Marcher lentement, la larme retenue, le nez baissé, parmi des gens qui ne l’avaient peut-être jamais aimé autant que moi, même en guise d’hommage ne valait pas la relecture des Ritals ou des Russkoffs.
Je m’y mis aussitôt.

Simonin, portrait d’écrivain…

il y a 4 ans
Magali Cazo, graphite, dessin, fusain, board, grey, body, soluto peintureCrayon sur papier, 21 cm x 29,7 cm, juin 2021

Je me souviens vaguement de ma première rencontre avec Albert Simonin.

Il était austère, sous un vernis noir et jaune, griffé blanc NRF, couché dans une caisse de romans de poche que mon père avait levée chez un voisin parti à la cloche de bois. On trouvait dans la boite à la fois Mauriac, James Hadley Chase, Sagan, San Antonio, Jacques Laurent, Francis Carco, Jean Bruce, des Spécial Police, du sentimental, d’autres auteurs en vogue dans les années 60 et maintenant tout à fait démodés.

J’avais onze ou douze ans. Simonin était au plus bas sous les piles et le dernier à m’intéresser. J’aimais mieux San Antonio parce que j’avais encore très mauvais goût.

Simonin m’est apparu dans sa malice, sa richesse et ses nuances longtemps après. Je l’ai attrapé comme on attrape une grippe dont on se remet mal. Sous l’Élégant j’ai vu l’homme nu, sous l’argotier le styliste, sous le paresseux un accablé et sous le désabusé un penseur tragique.

On peut (comme pour Manchette) se dispenser de ses collaborations avec le cinéma. D’ailleurs, en général, la collaboration ne lui a pas réussi (cinq ans de cellule, quand même)

On lira prioritairement Touchez pas au grisbi, si mélancolique et crépusculaire, et les Confessions d’un enfant de la Chapelle. Les courts textes de la lettre ouverte aux voyous et du savoir-vivre chez les truands tombent justes et droits comme des grimpants taillés sur mesure par un maitre.

Féministes, délicats, progressistes enragés et petits lecteurs s’abstenir.

 

Portrait Soluto sur Radio Albatros et un merci à Mitchul… Tu causes, tu causes…

il y a 5 ans

Un grand merci à Clairelise Chobelet qui m’a accueilli sur Radio Albatros au mois de décembre dernier pour son émission Portrait. On y a parlé de peinture et d’écriture pendant une petite demi-heure.
Quel exercice !
Les téméraires qui voudraient savoir de quoi il retourne pourront avantageusement cliquer sur le lien suivant ou sur l’image de l’atelier. C’est l’accès au podcast. Bonne écoute…

Émission Portrait Soluto

Un grand merci aussi à Mitchul, tenancier du blog Me, myself and I  qui évoque mon roman Redites moi des choses tendres (Ed. du Rocher) au bout de ce lien plus précisément (Clic)…

Florent Bordot chante le Corona Song…

il y a 5 ans

On commet des vers, un musicien passe, pose quelques accords, vous demande s’il peut aller plus loin. Et vous envoie l’ovni quelques semaines plus tard.
Florent Bordot chante clair, il articule et interprète. C’est dire s’il est peu mainstream.
Vous, je ne sais pas, mais moi je vais surveiller sa page Soundcloud (clic). Il finira peut-être, en plus de ses propres compositions, par chanter Caussimon et Béranger, Mouloudji ou Sylvestre.
Merci encore de ce cadeau si surprenant Florent.
Bonne écoute à tous.

Corona song…

il y a 5 ans

Sous le masque les tatillons
Tremblent, pestent. Ils ne rient plus.
La morsure du postillon
Qui les menace les exclut
De l’avenue silencieuse
De son flot entre parenthèses
Où l’herbe tendre, insoucieuse
Pousse, fleurit, reprend ses aises.

Ils ne bougent plus de chez eux
Sans leur gel hydro alcoolique
Certains anxieux sont nauséeux
Convaincus d’un mal diabolique.
L’attestation est dans leur poche
Précieuse comme un papyrus
Du passant frôlé ils décrochent
Croyant contourner le virus.

Quand ils sortent de leurs cocons
Tous ces claquemurés blafards
Au garde-à-vous sur les balcons
En rythme comme à la fanfare
Applaudissent. Il est temps.
Vingt heures pile. Ils manifestent
Et s’égosillent tant et tant.
N’allons pas croire qu’ils protestent.

Si jamais d’étonnants symptômes
Les conduisaient jusqu’à l’hosto
S’ils perdaient le goût des arômes
Et finissaient en végétaux
Vaincus aux éliminatoires
S’ils exhalaient leur dernier râle
Sous assistants respiratoires
Et gagnaient la mort sidérale

On verrait tous ces minuscules
Qui glorifient les infirmières
Par une claque ridicule
Implorer d’elles la lumière
Le souffle, un sourire, l’espoir.
Ils ne s’en souciaient pas naguère
Ils voyaient en elles des poires
Payées avec un lance-pierre

Qu’on pouvait congédier par vagues.
La dette, la dette, la dette
Leur chantait-on sur un air vague
Pour étouffer l’entourloupette.
Le peuple modelable et veule
Qu’un mot irrite, excite, enflamme
Et qui s’érige comme un seul
Au bout du rouleau les acclame.

Hélas il est bien temps. Rompues
Cassées, vidées elles s’en tapent
De vos concerts de morfondus.
Obstinément elles retapent
Vos poumons spongieux, décatis.
C’est le printemps la mort picore
Dans tous les rangs grands et petits
Savants, marchands, sages, pécores.

Politesse du désespoir
Où donc as-tu fichu le camp ?
Où sont les petits péremptoires
Les amuseurs inconséquents
Qui raillent le covid dix-neuf ?
On désengorge l’hôpital
La morgue est pleine comme un œuf
Au rire il porte un coup fatal.

Il a muselé les comiques
Rendu confus tous les experts
Qui grossissent des polémiques
Sur lesquelles les peurs prospèrent
Sera-ce l’azithromycine
Avec l’hydroxychloroquine
Qui renflouera les officines
Et tuera le mal qui nous mine ?

Pour ne pas devenir idiot
Et confiner paisiblement
J’ai coupé télé et radio.
Je soigne mes enivrements
Je pense à mes amours défuntes
Aux livres que je chéris tant
A Don Juan, à Des Esseintes
A Brassens et au fou chantant.

Sans doute est-il un peu trop tôt
Pour que je clamse et qu’on décrète
De poser sur d’humbles tréteaux
Mon cercueil comme à la sauvette
Mais si le virus qui décime
Me passe de vie à trépas
Je ne tomberai pas des cimes
Puisque je suis resté en bas.

Je dirai : j’ai pleuré, j’ai ri
Je n’ai pas su me distinguer.
Pour moi pas de dernier jury
J’irai vite et sans zigzaguer
Me dissoudre dans le néant.
Pas de soupirs ni de mots tristes
J’aurai vécu en fainéant
En imposteur, presque en artiste.

Soluto, le 30 mars 2020

Mes confins, poème…

il y a 5 ans

confinement, dessin, fusain, board, grey, painting, body, soluto dessin

Fusain, feuille, mars 2020

Mes confins

Impossible de me coucher, de me reposer
Je lis, je dessine, je regarde des livres d’images
Je fais de courtes siestes n’importe quand
Je sens tous mes rythmes se chambouler
J’ai gagné un cran à ma ceinture
Les larmes me montent aux yeux à la moindre chanson
Je ne mets plus de chaussures
J’ai coupé la radio, rouvert des souvenirs de 1977
J’aimerais tant passer ma main sous une robe d’été

Le 23 mars 2020

Portrait en gris de Beigbeder…

il y a 6 ans

beigbeder, encre de chine, dessin numerique, board, grey, painting, body, soluto dessin

J’adore ma fatigue. Faire la grasse matinée. Ne pas réfléchir tout le temps. C’est agréable de dormir debout. Les problèmes glissent… Ce sont des amis, ils m’aiment, ils sont drôles. On s’amuse, c’est grave ?

Frédéric Beigbeder ; Oona et Salinger (2014)

A l’amie qui n’a manifestement pas compris mon dessin posté ailleurs et qui se réjouissait que j’aie réglé son compte (???) à Beigbeder j’ai répondu :

Vous me laissez sans voix mon amie. Je n’ai pas de ces dégoûts, ou de ces aversions que vous me prêtez. Est-ce en rapport avec cette sinistre vidéo qui circule actuellement sur certains réseaux ? Si c’est le cas permettez-moi de vous donner mon point de vue. L’ironie, l’ironie la plus crasse et la plus imbécile peut surgir au détour d’un repas arrosé — ou pas d’ailleurs. Certaines compagnies poussent à la surenchère. L’humour est une projection de la pensée. Et la pensée n’est pas droite, ni bienpensante, ni parfois très maligne. Ce n’est qu’une pensée, pas un geste, pas un délit, pas un abus, pas une morale, pas un tract ni un manifeste. Je redoute la police de la pensée. Sur les réseaux elle est partout. Elle se gave de tout. La foule, toujours irresponsable et sans surmoi, réclame sans fin on ne sait quelle vengeance. Je crois pour ma part qu’on doit s’en protéger. Un jour on jugera un individu sur ses fantasmes avant de le confondre sur ses actes. Je me demande ce que nous aurons gagné.

Et je maintiens que cet auteur vaut le détour. J’ai un faible pour Nouvelles sous ecstasy. Jetez-y un œil, vous m’en direz des nouvelles (justement). Bien à vous…

Soluto