Sous le masque les tatillons
Tremblent, pestent. Ils ne rient plus.
La morsure du postillon
Qui les menace les exclut
De l’avenue silencieuse
De son flot entre parenthèses
Où l’herbe tendre, insoucieuse
Pousse, fleurit, reprend ses aises.
Ils ne bougent plus de chez eux
Sans leur gel hydro alcoolique
Certains anxieux sont nauséeux
Convaincus d’un mal diabolique.
L’attestation est dans leur poche
Précieuse comme un papyrus
Du passant frôlé ils décrochent
Croyant contourner le virus.
Quand ils sortent de leurs cocons
Tous ces claquemurés blafards
Au garde-à-vous sur les balcons
En rythme comme à la fanfare
Applaudissent. Il est temps.
Vingt heures pile. Ils manifestent
Et s’égosillent tant et tant.
N’allons pas croire qu’ils protestent.
Si jamais d’étonnants symptômes
Les conduisaient jusqu’à l’hosto
S’ils perdaient le goût des arômes
Et finissaient en végétaux
Vaincus aux éliminatoires
S’ils exhalaient leur dernier râle
Sous assistants respiratoires
Et gagnaient la mort sidérale
On verrait tous ces minuscules
Qui glorifient les infirmières
Par une claque ridicule
Implorer d’elles la lumière
Le souffle, un sourire, l’espoir.
Ils ne s’en souciaient pas naguère
Ils voyaient en elles des poires
Payées avec un lance-pierre
Qu’on pouvait congédier par vagues.
La dette, la dette, la dette
Leur chantait-on sur un air vague
Pour étouffer l’entourloupette.
Le peuple modelable et veule
Qu’un mot irrite, excite, enflamme
Et qui s’érige comme un seul
Au bout du rouleau les acclame.
Hélas il est bien temps. Rompues
Cassées, vidées elles s’en tapent
De vos concerts de morfondus.
Obstinément elles retapent
Vos poumons spongieux, décatis.
C’est le printemps la mort picore
Dans tous les rangs grands et petits
Savants, marchands, sages, pécores.
Politesse du désespoir
Où donc as-tu fichu le camp ?
Où sont les petits péremptoires
Les amuseurs inconséquents
Qui raillent le covid dix-neuf ?
On désengorge l’hôpital
La morgue est pleine comme un œuf
Au rire il porte un coup fatal.
Il a muselé les comiques
Rendu confus tous les experts
Qui grossissent des polémiques
Sur lesquelles les peurs prospèrent
Sera-ce l’azithromycine
Avec l’hydroxychloroquine
Qui renflouera les officines
Et tuera le mal qui nous mine ?
Pour ne pas devenir idiot
Et confiner paisiblement
J’ai coupé télé et radio.
Je soigne mes enivrements
Je pense à mes amours défuntes
Aux livres que je chéris tant
A Don Juan, à Des Esseintes
A Brassens et au fou chantant.
Sans doute est-il un peu trop tôt
Pour que je clamse et qu’on décrète
De poser sur d’humbles tréteaux
Mon cercueil comme à la sauvette
Mais si le virus qui décime
Me passe de vie à trépas
Je ne tomberai pas des cimes
Puisque je suis resté en bas.
Je dirai : j’ai pleuré, j’ai ri
Je n’ai pas su me distinguer.
Pour moi pas de dernier jury
J’irai vite et sans zigzaguer
Me dissoudre dans le néant.
Pas de soupirs ni de mots tristes
J’aurai vécu en fainéant
En imposteur, presque en artiste.
Soluto, le 30 mars 2020