L’œil tué n’est pas mort
Un coin le fend encor
Encloué je suis sans cercueil
On m’a planté le clou dans l’œil
L’œil cloué n’est pas mort
Et le coin entre encor
Tristan CORBIERE (1845-1875)
Dimanche dernier j’avais trouvé refuge à l’atelier et j’étais à l’écoute d’une radio périphérique. D’un coup, l’édition spéciale s’est interrompue pour laisser « la priorité au direct ». Un nouveau mouvement de foule avait eu lieu place de la République. Une femme interviewée affirmait avoir vu un homme sortir une arme sous son nez. L’on ne pouvait pas douter de l’authenticité de son témoignage. « Ça recommençait »…
Mais cette fois, plus de peur que de mal. C’était une ampoule qui avait claqué. Un policier dans les parages avait aussitôt dégainé. La femme interviewée, qui avait vu arriver sa dernière heure, l’avait confondu avec un terroriste.
Une ampoule claque et les Lumières s’éteignent peu à peu…
Ci-dessous un extrait de l’article Fanatisme du Dictionnaire philosophique de Voltaire, 1764.
Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère.
Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances : il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu.
Barthélemy Diaz fut un fanatique profès. Il avait à Nuremberg un frère, Jean Diaz, qui n’était encore qu’enthousiaste luthérien, vivement convaincu que le pape est l’antéchrist, ayant le signe de la bête. Barthélemy, encore plus vivement persuadé que le pape est Dieu en terre, part de Rome pour aller convertir ou tuer son frère : il l’assassine ; voilà du parfait, et nous avons ailleurs rendu justice à ce Diaz.
Polyeucte, qui va au temple, dans un jour de solennité, renverser et casser les statues et les ornements, est un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins sot. Les assassins du duc François de Guise, de Guillaume prince d’Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, et de tant d’autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.
Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l’ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde ; mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses.
Il y a des fanatiques de sang-froid : ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont d’autre crime que de ne pas penser comme eux ; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain, que, n’étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu’ils pourraient écouter la raison.
Il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal : car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés.
Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod, qui assassine le roi Églon ; de Judith, qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui ; de Samuel, qui hache en morceaux le roi Agag ; du prêtre Joad, qui assassine sa reine à la porte aux chevaux, etc., etc., etc. Ils ne voient pas que ces exemples, qui sont respectables dans l’antiquité, sont abominables dans le temps présent : ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.
Les lois sont encore très-impuissantes contre ces accès de rage : c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?
Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés parmi eux ; leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.
Oui, je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tordre leurs membres et écumer. Ils criaient : Il faut du sang. Ils sont parvenus à faire assassiner leur roi par un laquais, et ils ont fini par ne crier que contre les philosophes.
Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait. Il n’y a eu qu’une seule religion dans le monde qui n’ait pas été souillée par le fanatisme, c’est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non-seulement exemples de cette peste, mais elles en étaient le remède : car l’effet de la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c’est à la folie des hommes qu’il faut s’en prendre.
Chers tous, chers amis,
Les semaines passent… Dans 15 jours, le 7 juillet, on décroche…
Merci, merci, merci à tous ceux qui sont venus, qui ont pris le temps de goûter, de regarder, d’apprécier, de critiquer, d’interroger mes images, mes tableaux et mes dessins… Merci particulièrement à ceux qui m’ont adressé à cette occasion un signe, un mot toujours bienveillants. Je répondrai à chacun, je le promets.
J’informe les autres (toujours les mêmes, les occupés qui s’agitent pour des prunes, qui se lamentent sur le temps qui passe, qui pensent qu’on va les attendre) qu’on ne jouera pas les prolongations et qu’ils devront vivre ad vitam aeternam avec leurs regrets…
Les excuses de ceux qui pourtant s’enthousiasmaient à l’idée de cette expo n’adouciront pas mon regard. Certes, ils me trouveront souriant, égal à moi-même. Je n’en penserai pas moins.
Les retardataires, les oublieux, les procrastinateurs et les clinophiles qui souhaiteraient dans un ultime effort me rencontrer peuvent m’envoyer un message : je ne suis pas non plus un mauvais bonhomme, on ajustera nos agendas…
Je serai à la Galerie le vendredi 26 juin.
Au plaisir, donc…
Soluto Peintures & dessins
à la Galerie des Artistes
20, rue Saint-Blaise 75020 Paris
Tel : 06 80 70 66 44
Métro Gambetta ou Porte de Bagnolet
Comment travailliez-vous ces portraits en série successive ? En fonction d’une demande ? Et avec quelle technique ?
Je travaille toujours par série, préparant mes dessins parfois longtemps à l’avance. Cependant au moment du travail de peinture je traite chaque portrait indépendamment les uns des autres. Je trouve mes modèles autour de moi, ma famille, des proches, mais aussi dans des albums photos.
Dans ce cas-là, quand il s’agit d’inconnus, je ne me soucis plus de la ressemblance et préfère m’employer à restituer par la couleur une époque. J’aime beaucoup les tirages couleurs des années 60/70, ou les polaroïds de ce temps-là, et je cherche souvent à restituer ces ambiances. Je trouve qu’ils portent en eux-mêmes une forte charge émotive.
Le travail à l’acrylique ou à l’aquarelle permet un traitement rapide, en rapport me semble-t-il avec l’évanescence des souvenirs incertains de l’enfance. Souvent les portraits suscitent un texte, comme vous pouvez le voir sur le blog (j’en ai posté un hier)… Ce sont des petites fictions indissociables de l’image. Ce travail d’écriture me permet d’aller fouiller dans des zones enfouies ou refoulées et me permet de débusquer d’autres pistes de travail…
Les formats sont tous carrés: une manière de fabriquer cette série ou un rapport aux formats initiaux ?
Je ne sais pas ce que vous entendez par « formats initiaux ». Le format carré est un parti pris. Il permet « de rentrer » dans les images (fronts et mentons coupés parfois…) Ce n’est pas le format habituel du portrait, c’est une autre façon de l’approcher… Je crois, aussi, que c’est un format dans lequel je me sens à l’aise. Mon œil et ma main composent vite dans cet espace-là. C’est aussi vrai pour les paysages, encore que dans ce cas-là, il s’agit surtout d’un travail de composition sur les verticales et les horizontales…
Vous commencez directement en couleur et c’est l’irrégularité de la technique mouillée qui crée le flou ou bien vous tracez quelque chose de régulier et la mise en couleurs vous permet de déformer ?
Non, je travaille toujours après un crayonné discret assez poussé, où sont déjà prévus les principaux effets de flou (sur les travaux à l’acrylique, c’est différent dans la mesure où dessin et peinture cheminent de concert). Il y a peu d’improvisation dans ce travail et j’applique la couleur directement sur le papier avec un gros pinceau ventru, je précise mon trait avec un pinceau moyen et je termine avec une martre très fine si c’est vraiment nécessaire (rien de très original…). Sur beaucoup de ces travaux il y a des rehauts de gouache blanche… Il s’agit d’ailleurs d’une technique sur papier sec…
Et je recommence plus volontiers un dessin, que je n’essaie de le « rattraper ». Je déteste les dessins « bouchés »… Ils sont pour moi le comble du mauvais goût. Plutôt la maladresse que l’acharnement…
Mais… Si ça continue et si vous me poussez à m’interroger sur mon travail, vous allez bientôt en savoir plus sur moi-même que… moi-même…
Vous êtes en train de dire que vous gérez par avance le flou ! vous voulez dire que vous savez que vous allez peindre flou, c’est évidemment curieux pour un spectateur extérieur ! J’imagine qu’il y a un lien entre ce souvenir et le flou mais ce rapprochement serait un peu simple: y a-t-il des quantités de flou ? C’est–à-dire des images que vous avez plus ou moins envie de dégrader !? Pourquoi ? Dans quelle quantité ?
Gérer… gérer… Le mot est un peu fort… Disons plutôt qu’avant d’être là, le flou a déjà sa place. Jusqu’à un certain point, variable selon les travaux, j’ai une vision assez précise de ce que je veux obtenir. Mais je reste toujours vigilant afin de savoir lâcher la bride et laisser le dessin ou le tableau évoluer pour son compte. Il doit vivre sa vie propre, se détacher de l’intention qui lui préside afin de devenir cause de lui-même (à l’inverse, par exemple de l’image narrative ou de l’illustration qui restent jusqu’au bout assujetties à leur élan premier)…
Il ne s’agit pas, comme chez les hyperréalistes par exemple, d’être dans la maîtrise jusqu’à l’ultime coup de pinceau. Pour faire plus simple, je pousse le dessin, le « monte » jusqu’au moment où il prend pour lui-même son envol. C’est un instant inexprimable où, loin de toute pensée, tout se met en œuvre pour aboutir. La main n’hésite plus, l’œil juge vite, la prudence n’existe plus et les matériaux se plient aux exigences du travail. J’ai même développé une véritable addiction à ce point de bascule où la clairvoyance se combine à une certaine forme d’ivresse. Peut-être même que je ne cherche que ça…
Quant au rapport qu’entretiennent ces images avec les souvenirs (souvenirs écrans, inventés ou reconstruits) il est laissé aux bons soins de l’inconscient… Le mien, bien obligé, mais surtout celui du spectateur. Il s’agit toujours de trouver le chemin confus qui permettra d’aller troubler l’autre là où l’on a été soi-même touché… Et si l’on choisit l’image, en l’occurrence la peinture ou le dessin, c’est toujours pour éviter les mots, les phrases. C’est vous dire comme cet « exercice » d’entretien me met à l’épreuve. Mais bon, j’espère au moins que je suis à peu près clair…
Même sans « gérer » vous décidez du flou, vous vous arrêtez avant que la netteté n’arrive non ? Pourquoi ?
Eh bien, voilà, c’est exactement ça… Je « décide » du flou. Je n’en ai pas toujours la représentation mentale mais je sais à peu près quelle impression je veux obtenir. Et par conséquent le dessin va de l’informe jusqu’à ce point d’indécision. Il est dans sa plénitude au bout de ce chemin-là. Il n’est pas «inachevé» au sens où la même image, nette, serait l’image terminée. Non, il n’est jamais tronqué, et quand je repose les pinceaux l’affaire est entendue et ne m’appartient plus… L’image est allée à son terme. Faire plus serait faire trop.
A la question « pourquoi ? » je ne peux rien ajouter que je n’aie dit précédemment sur le rapport à la mémoire. Il s’agit de choix esthétiques, sans doute liés à des processus qu’il n’est pas nécessaire (utile ? possible ?) d’élucider. C’est aussi une façon de se mettre en marge de la tradition du portrait qui est presque par essence « psychologique »… Pour moi un portrait ne vaut pas toujours, en tout cas pas uniquement, par sa ressemblance avec son sujet, il n’a rien à dire, à montrer, à prouver.
L’essentiel pour moi est la présence, l’évocation plus que la ressemblance…
Voilà, j’espère avoir répondu à vos questions…
Décidément, quel exercice… Du moins me permet-il de mettre un peu d’ordre dans mes pensées…