


Merci, Alain, d’avoir joué le jeu…
Loin de nos blogs plus ou moins narcissiques Alain Korkos nourrit la BoÎte à Images de billets stimulants qui nous invitent « à nous arrêter pour regarder les images autrement« … C’est cultivé, solide, fin et drôle… De plus ses fidèles commentateurs viennent régulièrement compléter les propos du maître des lieux par des remarques et des informations souvent pertinentes… Que demander de mieux?…
Patrick S a joué le jeu… Merci…
Voilà ce qu’Aby a
fait de moi… A force d’aller chercher les autres il fallait bien que ça
m’arrive aussi…
(parce que je sais l’effort, la tension, la vigilance et l’abandon qu’il
faut pour faire un portrait, merci Aby…)
C’était devenu une hantise la pause de dix heures trente. J’étais à peine installé dans la salle de repos que j’étais sûr de la voir se pointer. J’avais fini par renoncer à feinter car quoi que je fasse, que j’arrive un quart d’heure avant ou une demie heure après, elle m’y rejoignait toujours. Son œil triste, sa moue constante, ses épaules en accent circonflexe, pour peu que je m’y attarde une demie seconde, me filaient le bourdon. J’évitais son regard avec soin tandis qu’elle guettait le mien inlassablement. Nous n’échangions pratiquement rien. Je m’arrangeais pour clore toutes les conversations. Il y avait six mois que cette histoire pourtant s’était achevée. Du moins pour moi. Et quelle pauvre histoire… Quelques coucheries à l’arrache, très convenues, au bout d’un baratin médiocre que j’avais déroulé avec la conviction d’un mauvais acteur de théâtre. Des banalités qui avaient pris toute la place dans son grand vide affectif. Après quelques orgasmes tièdes j’avais senti que le sujet était épuisé. Je lui avais dit avec douceur que notre aventure n’était pas viable mais elle n’avait pas voulu l’entendre. Elle m’avait un peu enquiquiné au téléphone mais elle était tombée une fois ou deux sur ma femme et n’avoir su que dire. Elle avait fini par tourner sa rancœur contre elle-même.
Un matin, je ne sais pas, pour jouer peut-être, avant d’aller en salle de pause je suis allé
En passant devant le bureau de Nathalia je suis entré vite fait. Puisque je n’avais pas encore écoulé tout mon temps de pause je lui ai raconté l’anecdote. Je savais qu’elle allait apprécier car elle m’avait souvent taquiné sur les « yeux de crapaud mort d’amour » de mon ancienne conquête. Elle m’a mis un petit coup de poing sur le menton puis m’a caressé la joue. « toujours partant pour ce soir ? » m’a-t-elle demandé. Et je me suis entendu lui répondre « plus que jamais Nathalia, plus que jamais… »
Trois petites histoires de gobelets…
Pour eux mon temps ne compte pas. La secrétaire m’a renvoyé à mon bureau et m’a signalé qu’elle me préviendrait de leur arrivée. Évidemment ils avaient trois quarts d’heure de retard. Ils ont toujours trois quarts d’heure de retard. J’ai relu mes notes, j’ai tortillé quelques trombones, j’ai pris connaissance des derniers mails. Je suis retourné aux toilettes. Enfin la secrétaire a appelé. J’ai pris plutôt les escaliers et j’ai vu qu’on avait changé le panneau du plan d’évacuation du bâtiment. Accréditation oblige. Elle m’a mené jusqu’au salon du directeur. Ils étaient là tous les trois et le gars de la DRH avait par avance dégrafé son col. Son nœud de cravate était mesquin. Ils prenaient un café dans des tasses de porcelaine blanche. Un sucrier art déco contenait des petits pavés de sucre roux. J’ai déballé ma salade, motivé des créations de budgets pour des postes intermédiaires, suggéré des redéploiements. Tous les six mois on me fait le même coup. Tous les six mois, comme à d’autres, on me fait plancher sur des projets hautement hypothétiques. J’obtempère docilement et je leur ponds des écrits comme on fait des cocktails ; avec une dose de ci, trois doses de ça et une pincée de trucmuche.… Ils m’ont écouté sans rien dire, assez distraitement d’ailleurs. A un moment le principal du département m’a demandé si je voulais moi aussi un café. J’ai dit oui parce que j’en avais terriblement envie. Il en a commandé un par téléphone à la secrétaire.
Elle l’a amené en moins d’une minute, sur un petit plateau, dans un gobelet, avec un sucre emballé et une cuiller en plastique. Je l’ai bu rapidement et j’ai écrasé doucement le gobelet. Ils m’ont encore posé deux ou trois questions, celles précisément que j’attendais, puis ils m’ont remercié.
Quand je suis ressorti de là, j’avais à nouveau cette douleur à l’épaule qui sait si bien ruiner mes week-ends.
Couloir, lavabo, tu voudrais que ça débouche sur quoi?
Ce soir je me souviens du "Play Blessures"
De la mansarde rue Jean-Jacques Rousseau
Du cosy-corner, du couvre-lit chenille jaune,
Des craven A et des Gitanes fumées à la fenêtre
D’une paire de bottes Go-West à talons hauts
Des dessins de Jean Solé et de Gotlib dans Pilote,
De l’odeur du linoléum de la salle d’eau
De la première lecture de Pierrot mon ami
Et aussi de celles des Ritals et des Russkoff
De mon magnétophone à cassettes Telefunken en formica
Ce soir je m’autorise à penser au "Play Blessures"
car ma journée a été infiniment douce…
Certes, Jeannot l’a peint (le corps christique…) Euh pardon…
Des fois, je suis vache (hélas)… Voici ce que j’écrivais à une amie il y a quelques mois à propos de Jean Rustin… Je pense toujours la même chose. Pourtant il est évident qu’il est l’un des plus grands…
J’ai beaucoup aimé Rustin. Je connais ce travail depuis très longtemps… Maintenant mon intérêt n’est plus aussi vif. Je n’ai rien contre l’obscène s’il est fondé, chez Rustin il est devenu systématique… il est à l’opposé du porno chic. Il en montre l’image inversée. Sa notoriété n’a pas joué en sa faveur. En surexposant cette œuvre, en la démultipliant, elle s’est banalisée pour finalement perdre sa charge subversive. Je préférais le temps où je le rangeais secrètement aux côtés de Molinier ou de Trouille, quand il était difficile d’en parler, quand l’évoquer supposait un effort… Maintenant il me semble que c’est fabriqué pour épater le bourgeois… Dans les années 80, ses toiles aux variations infinies provoquaient de la confusion, du trouble, de
C’est une œuvre chronicisée, qui se ressasse, se vide. Vous me direz qu’il reste la peinture, magistrale mais sans surprise. Manet en peignant ses dernières fleurs (je parle de Manet car parfois l’on compare sa peinture à la sienne… faut pas être tout à fait au point…mais qu’importe…) a su rester vif et foudroyant. Picasso, jusqu’au bout, s’est regardé en face (les derniers autoportraits dessinés, sublimes…) Le vieux Rustin, lui, n’est plus obsédé, ou obsédant, il est devenu obsessionnel… Dommage…