Les bananes…

il y a 15 ans

  – Pistaches salées! Amandes, noisettes, bonbons acidulés, cacahuètes, caramels…
– Hé garçon!
– Monsieur?
– Vous n’avez pas de bananes?
– Non monsieur, nous n’avons pas de bananes.
– Ben qu’est ce que vous avez alors?
– Pistaches salées, amandes, noisettes, bonbons acidulés, cacahuètes, caramels… Beuh…
J’aime pas les noisettes: on s’y casse les dents.
Vivent les bananes, parce qu’y a pas d’os dedans!
J’aime pas les sucettes, les bonbons fondants.
J’aime les bananes, parce qu’y a pas d’os dedans! Les dieux de l’ancien temps, aimant la fantaisie,
À tout autre aliment préféraient l’ambroisie.
Ah ben moi je veux bien vous croire, mais en attendant,
Vivent les bananes, parce qu’y a pas d’os dedans! Les plus grands poètes, même les décadents,
Aiment les bananes, parce qu’y a pas d’os dedans!
Tous les hommes de science, même les plus pédants,
Aiment les bananes, parce qu’y a pas d’os dedans! Même les plus inconnus parmi les hommes célèbres
Apprécient les vertus de ce fruit sans vertèbres.
Les plus grands ministres et même les présidents
Aiment les bananes, parce qu’y a pas d’os dedans! Je n’aime pas les asperges, c’est intimidant vous ne trouvez pas?
Oh que si! Et on ne sait jamais par quel bout les prendre… J’aime les bananes parce qu’elles n’ont pas le goût de la cannelle…
Et je déteste la cannelle! – Et toi Jean-Pierre, aimes-tu les bananes?
– Non!
– Et pourquoi donc?
– Eh dame, parce que le goût ne m’en plaît point.
Oh… et puis comme couleur, les épinards sont tellement plus ravissants! – Et toi Gudule tu les aimes les bananes?
– Oh oui!
– Et pourquoi?
– Ah ben, ah ben, ah ben, parce qu’y a pas d’os dedans!

Ray Ventura
LES BANANES
Yacick – Misraki, 1936

Les yeux grands ouverts, sans hurler, dans la nuit qui remue…

il y a 15 ans

Emportez-moi

 


Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l’étrave, ou si l’on veut, dans l’écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l’attelage d’un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l’haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Sur les tapis des paumes et leurs sourires,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.

Henri Michaux

Dont je suis idolâtre…

il y a 15 ans

— En bonne foi, crois-tu, sans t’éblouir les yeux,
Avoir de grands sujets de paraître joyeux ? — Parbleu ! je ne vois pas, lorsque je m’examine,
Où prendre aucun sujet d’avoir l’âme chagrine.
J’ai du bien, je suis jeune, et sors d’une maison
Qui se peut dire noble avec quelque raison ;
Et je crois, par le rang que me donne ma race,
Qu’il est fort peu d’emplois dont je ne sois en passe
Pour le cœur, dont sur tout nous devons faire cas,
On sait, sans vanité, que je n’en manque pas,
Et l’on m’a vu pousser, dans le monde, une affaire
D’une assez vigoureuse et gaillarde manière.
Pour de l’esprit, j’en ai sans doute, et du bon goût
A juger sans étude et raisonner de tout,
A faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre,
Figure de savant sur les bancs du théâtre,
Y décider en chef, et faire du fracas
A tous les beaux endroits qui méritent des has.
Je suis assez adroit ; j’ai bon air, bonne mine,

Les dents belles surtout, et la taille fort fine.
Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter,
Qu’on serait mal venu de me le disputer.
Je me vois dans l’estime autant qu’on y puisse être,
Fort aimé du beau sexe, et bien auprès du maître.
Je crois qu’avec cela, mon cher ami, je crois
Qu’on peut, par tout pays, être content de soi…

Molière

Le Misanthrope, Acte III, Scène première…