
En cliquant sur l’image vous pourrez rentrer dedans, je veux dire dans le grain de la toile et le moelleux des couleurs… C’est pour ceux que la barbouille, en tant que matériau, tout comme moi, toujours épate…
Depuis, la toile est finie. Je viens de retrouver cette photo, prise à la va-vite, dans de mauvaises conditions, mi-avril. J’en réalise de temps en temps pour voir l’avancement des travaux, garder un souvenir des premières couches. Là, on ne voit qu’un tiers de la toile. Je la posterai entière dès que j’aurai pris la peine de ressortir mon vieux réflex, qui prend la poussière mais qui reste incomparable pour réaliser des images fidèles.
Je ne sais plus comment c’est arrivé, mais je me revois à ce moment précis où je suis debout, silencieux, devant le grand coffre ouvert. Sans doute ai-je essayé à un moment de tirer la roue vers moi, comme je le faisais presque à chaque fois que je venais dans ce bureau. Je ne sais plus rien du probable étonnement qui a dû me saisir quand la lourde porte qu’on avait oublié de fermer s’est ouverte sans un bruit. J’ai beau multiplier les efforts de mémoire, les deux séquences s’enchaînent, distinctes, sans que je parvienne à faire la transition. Pour la première fois je suis seul devant la gueule béante de ce monstre de fonte et d’acier. Il y fait sombre, il y fait froid, un enfant comme moi, si l’on retirait les quatre tablettes métalliques, pourrait y tenir. L’idée m’en est venue et j’ai frissonné. Je me suis immédiatement senti en faute. J’ai redouté ou espéré qu’on me surprenne en flagrant délit. J’ai avancé les mains… Il y avait deux magazines, une enveloppe de papier kraft avec des photographies et trois ou quatre boites en carton. Pas de billets de banque, pas de courriers, un peu de paperasse sur la plus haute tablette… Finalement bien peu de choses par rapport à ce qu’un tel meuble aurait pu contenir de secrets…
Acrylique sur toile, 50 x 50 cm, en demi sommeil…
Et sinon, l’on trouvera ici, sur le site de L’Art sur la Planche de quoi s’offrir un original de bibi! J’en recause tout bientôt…
En fait, je l’ai appris tardivement, le vrai prénom de mon oncle c’était Gilbert… Gil, c’était son nom d’artiste. Il avait fait du cabaret dans les années cinquante, de la prestidigitation, du mentalisme. Un soir, trop chargé à la corydrane, il avait fait grimper sur scène une bonne bouille à qui il avait fauché la montre en or et le larfeuille en croco… Hélas, pris par je ne sais quelle inspiration, quand il les lui avait rendus sous les rires et les applaudissements, il avait empalmé définitivement tous les biftons qui garnissaient la bourse bien bombée du bonhomme. Se rendant compte de l’embrouille après la représentation (du papier journal bourrait son portefeuille) le gus était allé faire du foin dans le bureau du directeur du Perroquet Vert. Sommé de s’expliquer Gil n’avait pas voulu rendre la fraîche. Il avait juré sur Azouth qu’il n’était pas responsable de ce vol, avait remis son gibus avec élégance et avait tourné les talons dédaigneusement… Mal lui en avait pris, l’autre ne goûtait pas le délestage en public.
Quelques jours plus tard, à l’angle de la rue Labat et de la rue Custine, deux teigneux lui étaient tombés sur le poil et lui avaient fait les ongles d’un peu trop près. En quelques coups de sécateur adroits ils lui avaient fait rouler ses plus belles phalanges dans le caniveau… La chirurgie n’étant pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui, il n’était pas question de recoller les morceaux. Et puis, de toute façon, comment les auraient-ils ramassés ses pauvres doigts, ce malheureux Gil?
En tout cas, pour lui, c’était terminé la main baladeuse, la fourche et la pince dans le rond lumineux des projos et les applaudissements à tout rompre… C’était bête, il commençait à avoir son petit succès dans le close up. Il était même sur le point, parait-il, de passer dans une émission de l’ORTF. Ce n’était pas une mince promotion à cette époque-là…
Lui, comme dit mon père (excusez-le), on peut dire qu’il était passé à deux doigts de la gloire…